ETUDIER LES LANGUES A L’ECOLE SECONDAIRE : UN PLAISIR, UNE CORVEE, UNE NECESSITE, UN DEFI POUR L’AVENIR ?

L’apprentissage des langues est une nouvelle fois sous le feu des projecteurs de l’actualité. En effet, Marie Arena, ministre pour l’Enseignement à la Communauté française, par ailleurs elle-même polyglotte, vient d’annoncer l’offre prochaine de bourses d’ « immersion » pour les jeunes à partir de 18 ans. Objectif ? Compenser des lacunes laissées au terme du cursus scolaire ; persuader les jeunes, par la pratique intensive, de la nécessité de maîtrise d’une ou de plusieurs langues étrangères dans une Europe désormais élargie.

Si je prends la plume à ce sujet, c’est parce que, nous, professeurs de langues, sommes interpellés par cette décision. Pourquoi n’est-elle pas venue plus tôt ? Laurette Onkelinckx, in illo tempore, n’avait-elle pas déjà décrété l’obligation d’être bilingue au sortir des humanités ? Et puis, l’enseignement secondaire est-il vraiment incapable de prodiguer une bonne connaissance des langues ? Si oui ,pour quelles raisons ? Qui, que faut-il incriminer ?

Un récent article paru dans le Journal de la Maison de la Francité (1) intitulé : « Le français en régression en Flandre » est assez alarmant. Le professeur Docteur A. Vanneste de l’Université d’Anvers chargé de l’enseignement du français en philologie romane fait état d’un recul systématique de la maîtrise initiale du français par ses étudiants néerlandophones. Durant la quinzaine propédeutique de français organisée en septembre avant la rentrée académique, les étudiants sont d’abord soumis à un TDI (test diagnostic initial). De 1986 à 2005, le résultat moyen a baissé de 55% à 40%, les questions étant pourtant restées inchangées. Ensuite, les mêmes étudiants suivent une formation intensive , axée sur les problèmes faisant l’objet du TDI. A la fin de la quinzaine, les étudiants se soumettent au TDF(test diagnostic final) : ils ont alors compensé certaines lacunes mais le même déficit se marque par rapport aux résultats de 1986 (75% à60%).Le professeur en déduit que cette évolution hypothèque la formation universitaire où souvent la première année est une année de rattrapage, même si au terme du Master, l’étudiant a rejoint le niveau exigé depuis toujours. « Nos jeunes ne sont donc pas devenus plus bêtes -seulement le secondaire en tire de moins en moins ! Bref, le potentiel n’est plus valorisé » souligne-t-il. Il met en cause, non pas les professeurs de français du secondaire mais bien les méthodes qu’on les oblige à suivre et les critères d’évaluation qu’on leur impose : 60% pour les compétences communicatives,40% pour le reste, c’est-à-dire le cognitif -fixation de la grammaire, mémorisation lexicale-. Le professeur évoque la « tabloïdisation » de l’enseignement des langues qui ne doit plus vraiment être efficace pourvu qu’il soit amusant.

En tant que professeur de Langue moderne III, je partage assez les conclusions de Mr Vanneste et je pense que plusieurs de mes collègues professeurs de Langues modernes I et II me rejoindraient également. D’ailleurs, dans la pratique, même si j’utilise des méthodes communicatives, je les agrémente de drills grammaticaux et autres entraînements lexicaux. Je voudrais cependant apporter quelques nuances au propos. Depuis l’arrivée de la méthode SGAV(structuro global audio visuel) dans les années 70 -c’est dans ce moule que j’ai moi-même appris le néerlandais, l’anglais et l’espagnol en humanités- en passant par les méthodes dites « communicatives » jusqu’à l’actuelle perspective des « tâches » (tasks,tareas) mettant en ouvre les quatre compétences (the four skills, las cuatro destrezas), on constate que l’élève ose davantage s’exprimer, qu’il redoute moins l’erreur stigmatisée par les méthodes classiques.(2) Cela, c’est une avancée que l’immersion peut d’ailleurs maximaliser. En effet, l’enseignement des langues tel que pratiqué aujourd’hui, pour être efficace, exige un plus petit nombre d’élèves par classe (15 maximum) et surtout une fréquence des cours plus élevée (non pas 4h/semaine saucissonnées). S’ensuivrait un troisième ingrédient indispensable : le renforcement de la motivation de l’élève, objet de plus d’attention de son professeur et partant, animé d’une meilleure confiance en soi .La situation actuelle, héritage des grandes restrictions budgétaires entamées dès les années 90, n’est pas du tout propice à de bons résultats.

Mais le mot de la fin, ce sont les apprenants eux-mêmes qui doivent le prononcer : la balle est lancée dans votre camp, saisissez-la et communiquez au journal vos réflexions, sentiments, interrogations par rapport à l’enseignement des langues à l’école et dans votre école.

Martine Melebeck, professeur de langue espagnole à l’Athénée François Bovesse de Namur.

(1).Francité, Trimestriel, numéro 45, 1 er trimestre.

(2)Même si le verdict d’un 5/10 pour une performance du style : « Je, je voule du pomme » fait doucement grincer des dents.